Le Bas-relief du XIIe siècle

La major posséde un admirable devant d’autel du moyen âge, qui ornait, autrefois, le premier autel principal. Il est déplacé dans la chapelle de St Sérénus en 1702. Depuis il occupe toujours la même place. Empruntons à Alfred Ramé, archéologue, comme l’ont fait C Bousquet et F Roustan, une description de ce marbre, qui était peut-être un sarcophage. Nous vous proposons aussi l'intégralité de la notice que A. Ramé lui a consacrée en 1851.
« On est parvenu à grand peine à rencontrer ainsi dans certaines abbatiales, bien éloignées des grands chemins et des variations de la mode, quelques spécimens de la période romane, mais nulle part on n'a signalé en France un même autel de la même époque appartenant à une cathédrale. Il n'y a d'exception que pour une pauvre église calcinée et mutilée, peu digne à coup sûr du titre de cathédrale, malgré l'intérêt que peuvent représenter son plan, sa coupole de pierre et le robuste appareil de son abside. La Major, à Marseille, a le privilège de nous conserver ce modèle introuvable, mais on le chercherait vainement au milieu du sanctuaire, à la place d'honneur qu'il occupa jadis. Depuis qu'un autel d'un roman fort suspect a pris possession du chœur, l’ancien maître-autel a été relégué dans une des petites absides latérales.
Ce qui frappe d'abord, dans l'autel de Marseille, c'est l'exiguïté de ses proportions. Elles semblent très réduites, même pour un chœur étroit, court et sans collatéraux, comme celui où il se trouvait, car cette Cathédrale de Marseille atteint à peine les dimensions d'une église paroissiale un peu considérable. L'autel est d'un beau marbre blanc qui offrait de grandes ressources à la sculpture. Sa conservation est parfaite dans toutes ses parties, à l'exception d'un personnage dont on a fait sauter la face avec un soin qui dénote une intention coupable. Le mutilateur doit être proche parent du touriste malfaisant qui a décapité à son profit, dans un cloître de Saint-Trophime, le Moïse recevant les tables de la loi, et qui a fait ainsi disparaître l'une des têtes les plus remarquables de l'édifice. A Marseille, l'autel semble suffisamment protégé, par la sainteté du lieu où il se trouve. »
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« Sur la face antérieure de l'autel de la Major, des archivoltes. chargés de grosses perles dessinent trois profondes arcades, entre les retombées desquelles sont sculptés les symboles des quatre évangélistes. Elles reposent sur des chapiteaux parfaitement travaillés, où des souvenirs non équivoques de l'art antique se mêlent aux formes de l'époque romane. Au centre, assise sur un trône, la tête couronnée d'un diadème de perles et de pierreries, la Vierge présente son divin fils à l'adoration des deux personnages qui se tiennent sous les arcades latérales. Le Christ n'est pas un enfant, mais un petit homme bien proportionné. Il bénit de la main droite, à la manière latine ; de la gauche, il tient une banderole déroulée, où se lisent: Ego sum lux mundi. La tête est entourée d'un nimbe crucifère, les pieds sont nus ; le corps est enveloppé d'une longue robe sur laquelle est jetée une tunique recouverte elle-même d'un manteau ; c'est aussi le costume que porte sa mère.
Nous sommes ici, on le voit, en présence d'un des innombrables monuments que le moyen-âge se plut à élever à la gloire de Marie, et pour l'étudier complètement, il faudrait soulever quelqu'une des mille questions de cette iconographie de la Vierge, le sujet le plus beau et le plus vaste que l'examen de nos édifices religieux présente aux méditations de l'archéologue. On pourrait, par exemple, comparer la manière dont la mère tient son fils assis entre ses genoux, dans son giron, au type byzantin et au type consacré dans notre Occident depuis le XIIIe siècle, pour la représentation des mêmes personnages. Nous constaterons seulement que ce groupe reproduit, à Marseille comme presque sur tous nos monuments romans, la disposition adoptée pour les sarcophages, par les premiers sculpteurs chrétiens, à une époque fort ancienne. Ainsi l'art byzantin n'a exercé ici aucune influence, et nous devons insister sur ce point, car nous sommes de ceux qui refusent de voir dans nos édifices à plein cintre autant de créations de l'art oriental et de leur appliquer les expressions malsonnantes de style de romano byzantin ou byzantino-roman. Nous reconnaissons cependant sur quelques points, entre l'autel de Marseille et les monuments orientaux, des coïncidences singulières ; nous savons aussi que parfois la Grèce, non contente de nous adresser des œuvres depuis le VIIe jusqu'au XIIe siècle, nous envoyait encore ses artistes, et que ces artistes abordaient aux portes de Marseille. C'est du moins ce qui résulte d'un texte important pour l'histoire de l'art en Provence, et peut-être pour celle de la France, qui n'a pas encore été signalé comme il le mérite, et qui est conservé dans la Gallia Christiana.
Il apprend que l'évêque de Toulon, Déodatus, accorda en 1040, à une colonie de moines grecs, l'église d’Auriol : Anno MXL testi fuit (Déodatus) donationis de Auriol monachis groccis (Gall. Christ. 1744). Malgré tous ces faits, l'autel de Marseille porte les traces les plus incontestables de son origine occidentale. La tête de la Vierge et celle des évêques placés à sa droite et à sa gauche ne sont pas entourées de nimbe; une pareille violation des principes élémentaires de l'iconographie, qui serait sans aucune importance aux XVe et XVIe siècles, en a une fort grande à l'époque romane. Au XIIe siècle on n'oublie pas ces règles ; on les viole quelquefois mais avec intention, et alors ces infractions méritent une attention sérieuse.
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